Maltraitance infantile
Grandir victime d'un parent pervers narcissique
Par Laurence Mouton Shakti,
Sophrologue et Psychanalyste à Lille.
Dans les veines de certains enfants coule le sang d’un(e) pervers(e) narcissique*, un diagnostic posé parfois grâce à la finesse d’un thérapeute, voire malheureusement jamais. Il arrive, en effet, qu’aucun psychothérapeute ne formule cette pathologie, qui n’est autre qu’une forme de psychopathie. Comment l’enfant vit-il la maladie de son parent malade ? Quel adulte pourra-t-il devenir ?
Comme on le sait désormais, cette maladie psychique peut en effet amener la personne qui en est victime au suicide sans risques pour le malade d’être inquiété par les autorités, à condition qu’il n’y ait pas eu violences physiques. La première thérapeute française a avoir mis au grand jour cette maladie est la psychiatre Marie-France Hirigoyen, à laquelle on ne rendra jamais assez hommage pour ses publications, en particulier sur le harcèlement moral. Elle a produit un travail admirable, désormais utilisé dans les tribunaux. Elle a permis de mettre des mots sur le désordre intérieur que connaît la victime, dont la culpabilité. A-t-elle côtoyé ce genre de personnages pour en connaître aussi bien les travers et les habiletés ? Elle ne le dit jamais dans ses ouvrages. Mais compte tenu de la justesse de ses écrits, cela me semble être une forte probabilité.
S’inquiéter en permanence d’être vivant
Grandir auprès d’un pervers narcissique, ça n’est pas vivre, mais survivre, s’inquiéter en permanence d’être vivant. Car une fois au monde, l’enfant est l’objet du pervers. Ce dernier en fait ce qu’il veut. L’enfant est à sa merci, terrifié par ses réactions d’indifférence, de colères, de fantaisies sadiques et irresponsables. Ayant comme adversaire un plus faible que lui, il s’épanouit en l’humiliant, en lui faisant croire qu’il l’aime, en le laissant attendre pendant des heures dans des endroits où l’enfant n’a pas sa place. Finalement, cet enfant ne peut jamais se sentir à sa place, car il n’y en a que pour son parent malade. Parfois toute sa vie, il connaîtra ce sentiment qu’il reproduira inconsciemment dans toutes ses relations. Il restera ainsi toute sa vie un petit qui ne se sentira pas la légitimité de devenir adulte et qui se fera au mieux marcher sur les pieds par les personnes aux traits de caractère proches du parent à problèmes. Pour réussir enfin à plaire un jour, à être aimé, il adoptera des comportements de gentillesse extrême, voire de soumission, n’imaginant pas revivre et revivre le tonneau des Danaïdes. Il s’épuisera pour les autres sans aucun signe de reconnaissance, un des besoins fondamentaux de l’homme pour espérer vivre une vie normale.
Doté d’un instinct grégaire, l’entourage constitué d’hommes et de femmes ayant bénéficié d’une éducation plus structurante, adopteront, consciemment ou non, le comportement du dominant (ancien parent), leader ou à leurs yeux sympathique, ou se solidariseront entre eux afin d’écraser la victime, qui, se disent-ils, « si elle se comporte ainsi c’est que constitutionnellement, elle n’est pas digne de respect ». La boucle est bouclée. La victime s’isole, s’étiole, tombe en dépression, chronicise une maladie et finit, si elle n’est pas entourée de personnes aimantes et bienveillantes à son égard, par sombrer dans une addiction (alcool, médicaments…), voire à se supprimer dans la solitude la plus totale, comme durant toute sa vie.
Un enfant qui a également peur pour les autres
Voilà, en résumé, ce qu’un enfant de pervers narcissique peut ressentir et vivre au cours de sa vie. Et puis, tandis qu’il a peur pour lui, il s’inquiète pour les autres victimes, l’autre parent, ses frères et sœurs. Particulièrement empathique, il souffre aussi de la souffrance des autres. Un ceinturon sorti de ses passants pour menacer ou frapper le frère, la sœur, parfois accompagné d’un rictus sadique. Et puis, il y a aussi l’autre parent qui ne vient pas en aide à un des enfants en difficulté et qui parfois alimente la peur lui aussi pour garder le contrôle sur un gosse terrifié à l’idée de commettre une bêtise. Ainsi, l’enfant ne connaitra jamais le maternage, la protection, l’amour et n’imaginera même pas qu’il puisse les mériter un jour. En revanche, il donnera tout l’amour qu’il possède en lui pour soigner les autres, les réconforter, les sécuriser, les tirer vers le haut, comme il ne l’a jamais été lui-même. S’il a de la chance, le récepteur de cette tendresse le lui rendra ou, s’il est moins chanceux, il en profitera jusqu’à la dernière miette. La dernière. Si l’amour n’est pas partagé, l’enfant devenu en apparence adulte, en apparence seulement, mourra à petit feu et sera jeté comme un objet devenu inutile quand son feu sacré sera totalement éteint. Ainsi va la vie de nombreuses victimes de ces parents-là.
Aucun son crédible à ses oreilles ne peut sortir de sa bouche
L’enfant, jamais félicité et écouté, ne trouvera pas les mots pour expliquer ce qui lui arrive, même à l’extérieur du foyer, car aucun son crédible à ses oreilles ne sortirait de sa bouche. Comme un être violé, il se sentira honteux d’exprimer la parole d’un individu qui n’a pas de valeur et qui ne mérite que des raclées. Une façon finalement d’exister, d’avoir moins peur de la vie, car quand un être le frappe, ce dernier est présent auprès de lui. Il le touche, hausse le ton. L’enfant est là, à sa place. La nuit quand il fait noir et que tous les volets de la ville sont fermés, il peut avoir moins peur dans la maison d’un parent maltraitant que d’un fantôme. Fantôme qu’il a fini par devenir lui-même. Un mort vivant dont il peut commencer à avoir peur et dont il n’est guère consolé. La peur est partout jusqu’à le traverser, l’empêcher de fermer les yeux pour ne plus avoir à être avec lui-même, avec l’horreur, le dégoût qu’il suscite chez ses proches. Le rejet.
Quand s’endormir devient dangereux
Mais tout cela se situe bien en dessous d’une réalité difficile à transcrire. Pour ne pas être un fantôme rongé de l’intérieur, un sac d’os, une pourriture en décrépitude, l’enfant devient le héros des histoires les plus prenantes. Il sort de la réalité, même si la plupart du temps elle le rattrape au bout de quelques minutes. Collé au mur, comme pour rentrer à l’intérieur, il rêve. Il ne dort plus, il rêve éveillé car s’endormir est devenu trop dangereux. Et cela peut durer toute une vie.
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Chanceux sont tous les enfants de cette terre, bordés, même avec un sac de pommes de terre, le soir avant d’aller se coucher.
La vie aurait été tellement différente si les petites victimes avaient connu l’expérience de l’amour parental. Je pleure aujourd’hui sur ces petites filles et petits garçons de 6, 8, 9, 10, 11 ans et même plus qui se confient à moi, aujourd’hui devenus adultes. Je les aime tellement. Ils le méritent tout simplement parce qu’ils étaient l’innocence. Le petit d’Homme a profondément besoin d’amour et de sécurité. Cocktail bien connu des psys, que les parents bien intentionnés savent intuitivement préparer.
Quelle injustice d’en priver les enfants et quel temps perdu avant qu’ils commencent enfin à s’aimer. Car oui, avec le temps et de l’attention, l’adulte peut guérir son enfant intérieur.
LM
* Tous les parents violents psychiquement ne sont pas pervers narcissiques.
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